Les dysfonctionnements de la justice pèsent sur le contribuable
L’annonce des Etats généraux de la justice par Emmanuel Macron apparaît comme une bonne nouvelle, tant les lenteurs et dysfonctionnements de la justice française sont criantes à la faveur d’affaires retentissantes (Sarah Halimi, Viry-Châtillon, Moukhtar Abliazov etc.). Sans compter qu’elles pèsent sur le portefeuille des Français.
Le budget de la Justice voté pour l’année 2021 a connu une augmentation de 8 %, soit 1,7 milliard d’euros. Une « hausse historique » selon le Garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, qui ne ménage pas ses efforts pour donner à son ministère de nouvelles marges de manœuvre. Début juin, l’Elysée annonçait dans un communiqué « les Etats généraux de la justice ». Prévus en automne 2021, ce dispositif lancé par Emmanuel Macron devrait permettre de réunir toutes les organisations de la société civile concernées afin qu’elles débattent et qu’elles parviennent à des propositions communes.
Pour les avocats de France, c’est en tout cas une bonne nouvelle, notamment « dans le contexte d’accusations de laxisme de la justice et dans un contexte d’accumulation de réformes » se réjouit le président du Conseil national des barreaux (CNB) Jérôme Gavaudan. Budget insuffisant, lenteurs administratives, surpopulation carcérale, sévérité à l’occasion de procès exemplaires ou à l’inverse impunité de certains criminels, et un sentiment général de « laxisme » de l’institution. Pour 81% des Français, la justice est laxiste, selon un sondage CSA réalisé au mois de mai. 37 % sont « tout à fait d’accord » et 44 % « plutôt d’accord » avec cette assertion.
Halimi, Viry-Châtillon, Abliazov
A l’origine de cette opinion, de nombreuses affaires qui ont défrayé la chronique et mobilisé de nombreux citoyens. En commençant par celle de Sarah Halimi, cette sexagénaire juive défenestrée en avril 2017 dans le quartier de Belleville à Paris par Kobili Traoré, un jeune homme musulman, qui ne sera pas jugé car considéré comme pénalement irresponsable. Son discernement aurait été « aboli » (et non « altéré ») au moment des actes selon plusieurs enquêtes, et le procès ne peut avoir lieu. La décision de la cour de cassation en avril 2021 entraîne une vague d’indignations dans le pays.
L’affaire Viry-Châtillon, dite des « policiers brûlés », jette également une lumière crue sur les dysfonctionnements de certaines enquêtes en cours. En octobre 2016, deux fonctionnaires de police sont grièvement blessés et brûlés par l’embrasement de leur véhicule, causé par le jet de cocktails molotovs à l’occasion d’une attaque dans le quartier de la Grande-Borne. Une enquête récente révèle que la police aurait tronqué des procès verbaux pour que la peine soit plus sévère à l’égard des accusés et montrerait l’impunité de certains agents de police.
Mais c’est bien l’impunité des grands criminels qui provoquent l’incompréhension des experts. D’autres affaires, moins médiatiques mais tout aussi étonnantes, révèlent les tergiversations de la justice française à l’égard de personnalités sulfureuses, telles que le Kazakh Moukhtar Abliazov, milliardaire condamné par la justice britannique à payer 4 milliards de dollars de dommages et intérêts à la banque BTA, dont il était président dans les années 2000, décision à laquelle il a refusé de se soumettre. Moukhtar Abliazov vit depuis plusieurs années en France, où il a obtenu le statut de réfugié politique, malgré un premier refus de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Et dans le même temps, il fait l’objet d’une mise en examen par la justice depuis octobre 2017.
Coûts aberrants de fonctionnement
Dans un tout autre genre, l’impunité des auteurs de « féminicides » scandalise de plus en plus une partie de l’opinion publique. On pense à la mort d’une mère de trois enfants à Mérignac, brûlée vive par son mari récidiviste, qui venait d’obtenir un aménagement de peine. Ou cette autre femme qui meurt sous les coups de marteau de son concubin à Arpajon, ou encore une jeune femme de 22 ans, égorgée sous les yeux de sa fille à Hayange par son conjoint, réfugié politique du Kosovo et délinquant avec neuf inscriptions dans son casier.
Enfin, les dysfonctionnements de l’institution judiciaire posent non seulement un problème moral, mais également économique. La France a beau ne consacrer que trop peu d’argent à sa justice, ces failles entraînent un coût, non seulement démocratique, à travers une perte de confiance envers nos institutions, mais aussi économique. Déjà en 2014, la Cour des comptes épinglait l’institution judiciaire et ses coûts parfois aberrants de fonctionnement : «Le coût moyen d’un trafic de stupéfiants peut se chiffrer en termes d’écoutes et de géolocalisation entre 10 et 15 000 euros», révèle un magistrat. «On arrive parfois à des aberrations. Comme une recherche de traces de stupéfiants sur 500 euros en liquide. À 400 euros l’analyse du billet, on arrive à un coût d’expertise supérieur à la somme saisie».
Et que penser de l’affaire Tapie, qui oppose ce dernier au Crédit lyonnais et qui dure depuis 1998 ? Le Canard enchainé révélait en 2019 qu’elle aurait coûté – à l’époque – 460 millions d’euros à l’Etat, et donc au contribuable, en frais d’avocats et d’expertise…