Hadopi veut lutter plus efficacement contre les pratiques illicites sur le Net
L’autorité chargée de la lutte contre le piratage souhaite élargir son champ de compétences et s’attaquer, notamment, aux sites de streaming illégaux. Mais contrairement à d’autres pays, la législation en cours ne lui permet pas d’agir efficacement contre la fraude.
Elle revient de loin. Sauvée in extremis par le Sénat alors que les députés avaient voté sa suppression en 2016, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) souhaite élargir son activité à d’autres domaines et pouvoir lutter contre les sites de streaming illégaux. Aujourd’hui, seule l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle est en mesure de s’attaquer à de tels sites. Début décembre, cette dernière a annoncé la fermeture d’ARTV Watch, un site qui permettait de regarder gratuitement des chaînes de télévision normalement payantes, comme beIN Sports, SFR Sport, OCS, Canal +, etc.
Comment la Hadopi pourrait-elle agir contre les sites de streaming illégaux ou encore contre les boîtiers prééquipés de logiciels de piratage comme elle le souhaite ? Sa capacité d’action semble bien limitée au vu des procédures de lutte contre la contrefaçon en France. Mais preuve que l’institution veut se rénover, elle a transmis 889 dossiers à la justice en 2016, soit 30 % de plus que l’année précédente. « Le nombre de dossiers envoyés au parquet a augmenté chaque année, avec une montée en charge significative ces deux dernières années puisque les trois quarts des dossiers transmis l’ont été depuis juillet 2015 », précise la Hadopi dans son rapport annuel d’activité. Et de souligner que depuis sa création en 2009, plus de 9 millions de premiers avertissements et plus de 800 000 « lettres de rappel » avaient été adressés. Mais en concentrant ses moyens sur les internautes, la Hadopi a permis la fermeture de 25 sites seulement. Et encore faut-il inquiéter les internautes… Actuellement, ils reçoivent trois avertissements avant une éventuelle sanction financière.
Avec les boîtes prééquipées, type Kodi ou Plex, l’accès au streaming est devenu encore plus simple pour les internautes. Kodi permet par exemple d’installer des extensions simplifiant la diffusion de films ou de séries soumis aux droits d’auteur. Face au succès de ces boîtiers, 6 studios américains ont décidé de mettre la pression sur les pirates. L’un d’entre eux, jsergio123, a ainsi dû fermer ces extensions sous peine d’être poursuivi.
L’Angleterre a également pris la mesure du caractère néfaste du streaming illégal. Elle a par exemple lancé une campagne, à l’initiative de Crimestoppers, sur les dangers de cette pratique. Les autorités rappellent notamment les risques de sécurité : en souscrivant à des contenus, des criminels peuvent obtenir des informations personnelles comme l’identité réelle, le numéro de compte bancaire ou des mots de passe…, sans parler des pop-ups et malware qui ralentissent les ordinateurs.
L’Angleterre est un des pays les plus efficaces d’Europe contre les sites illégaux, avec 163 sites bloqués, derrière le Portugal (600 sites fermés) mais loin devant la France et ses 25 sites condamnés. En cause : des procédures de blocage bien plus simples que dans l’Hexagone. Au Portugal, l’autorité chargée de la protection des œuvres notifie le contenu illégal au site et demande son retrait. En cas d’absence de réponse, elle saisit l’Inspection générale des Affaires culturelles qui demande aux fournisseurs d’accès (FAI) de bloquer le site. En Angleterre, ce sont les ayants-droits qui doivent apporter la preuve de l’illégalité au juge. Celui-ci ordonne aux FAI de bloquer le site ainsi que les sites miroirs (des copies qui prennent le relais des sites fermés).
En France, la procédure n’est pas si éloignée du modèles anglais : les ayants-droits commencent par demander au site de retirer le contenu illégal puis, en cas d’absence de réponse, ils saisissent le juge, lequel demande aux FAI ou aux moteurs de recherche le blocage du site. Alors, pourquoi ça coince en France ? Notamment parce que les ayants-droit doivent systématiquement contacter le site pirate. De même, les FAI n’ont passé aucun accord avec les ayants-droits concernant les sites miroirs. Le site source se régénère sans que les ayants-droits puissent y faire quoi que ce soit.
Si la Hadopi veut être crédible sur le terrain de la contrefaçon et s’adapter aux nouvelles pratiques sur Internet, elle devrait s’inspirer davantage de ce qu’il se passe chez ses voisins européens. Et surtout simplifier une procédure qui est loin d’avoir fait ses preuves…
F. Sevran