Le non-renouvellement du glyphosate, un séisme économique de force 10
Alors que l’Europe s’enferme dans des atermoiements qui inquiètent les marchés, plusieurs pays exportateurs de produits agricoles mettent en garde contre un séisme sur le marché alimentaire. L’interdiction, partielle ou totale, des produits agricoles utilisant du glyphosate aurait en effet des conséquences majeures sur le commerce international.
La Commission européenne, qui devait se prononcer sur le renouvellement de la licence autorisant l’utilisation du glyphosate, l’herbicide le plus utilisé dans le monde, a de nouvelle fois décidé de botter en touche et reporter le vote « à une date ultérieure ». Jeudi 8 novembre, les représentants des différents Etats membres ont en effet décidé de se prononcer ultérieurement, en l’absence de consensus – et ce alors même que cette licence arrive à son terme le 15 décembre prochain. Utilisée depuis plus de 40 ans par les agriculteurs, mais aussi les particuliers et les collectivités locales, la molécule « glyphosate » est à la fois très efficace, très facile à utiliser et très économique.
La vive controverse qui divise l’Europe vient du fait qu’il existe un désaccord au sein de la communauté scientifique sur la nocivité du désherbant. Seul le très influent CRIC estime que le glyphosate est nocif, et l’a ainsi rangé dans la catégorie de « cancérogène probable ». En face, toutes les autres agences de santé qui se sont saisies du dossier refusent d’y voir une menace (la liste est longue : l’ANSES française, le BfR allemand, l’EFSA et l’EChA européens, l’EPA américain, l’ARLA canadienne, l’APVMA australienne, l’EPA néo-zélandaise, la Commission Japonaise de Sécurité Alimentaire, l’OFAG et l’OSAV suisses – et même la maison-mère du CIRC, l’Organisation Mondiale de la Santé). Plus récemment, l’Agricultural Health Studies a publié la plus large étude jamais publiée sur l’impact du glyphosate sur l’être humain. Cette étude, qui porte sur deux décennies, expose dans le menu les rapports entre glyphosate et cancer : le verdict a une fois de plus rassuré. Aucun lien n’a été trouvé entre les deux.
Les importations étrangères en porte à faux
Mais au-delà de la très relative controverse scientifique autour du sujet, le non-renouvellement du glyphosate pourrait avoir un impact important.
Alors que l’Europe peine à trouver un point d’entente, une nouvelle voix s’est levée pour mettre en garde contre un risque inédit : un séisme mondial sur le marché de produits alimentaires. De fait, si le glyphosate était interdit en Europe, les agriculteurs des pays membres seraient mis en compétition avec des produits qui eux auraient été traités par la molécule. Ils proviendraient de pays partenaires historiques de l’Union Européenne, qui eux n’ont pas l’intention de l’interdire. Ils seraient alors placés dans une situation de concurrence déloyale. Il est donc acquis, ou du moins fortement suggéré, que l’UE légifèrerait afin de restreindre l’accès des produits qui imposeraient une pression économique normale sur ses propres agriculteurs.
Or, une restriction ou une interdiction en Europe aurait des conséquences totalement inattendues pour tous ses partenaires. C’est pourquoi l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, le Chili et New Zélande, qui utilisent le glyphosate, et sont d’importants exportateurs de produits alimentaires issus de leur terroir vers l’Europe, s’inquiètent du risque de perdre un partenaire étranger majeur. Ils craignent en effet que leurs productions nationales soient mises en porte à faux du fait de cette interdiction – avec des conséquences tragiques pour leurs populations rurales et un impact macro-économique majeur.
La polémique anti glyphosate, le faux nez du protectionnisme ?
Il existe deux recours à l’EU si elle souhaite interdire les exportations de produits traités au glyphosate sur son territoire. La première implique l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Elle peut décider d’une interdiction pour des raisons de santé, applicable à tout produit présentant des résidus d’herbicide supérieurs à 0.01 milligrammes par kilo de produit importé – une solution qui tient plutôt du voeu pieux quand on sait que le glyphosate est largement considéré comme non cancérigène à travers le monde. La Commission européenne peut aussi décider de s’appuyer sur le règlement européen sur les limites applicables aux résidus de pesticides, et fixer arbitrairement un taux de résidus maximum.
Devant ces perspectives peu réjouissantes, le Ministre de l’agriculture argentin Ricardo Buryaile a écrit une lettre à la Commission où il a exprimé ses inquiétudes quant aux effets d’un renoncement au glyphosate sur les exportations de soja du pays. Très rapidement, les autres pays précités ont rejoint le rang. Cependant, d’autres se sont montré plus virulents – à l’image de Cam Dahl, président de l’association des céréaliers canadien, qui a accusé l’UE de protectionnisme déguisé : « pour nous, il s’agit d’une campagne très active visant à dénigrer la qualité du blé canadien – qui n’est bien entendu basée sur aucune vérité scientifique. »
Victoire financière pour le lobby du bio ?
L’accusation est en tous cas prise très au sérieux par les institutions internationales. Le comité sanitaire et phytosanitaire de l’OMS, alerté par l’Argentine, s’est saisi du dossier. Et si d’aucuns y voient du protectionnisme à l’heure où l’agriculture européenne est en peine, lestée par une bureaucratie trop envahissante, d’autres y voient l’action d’un lobby économique puissant : le lobby du bio. Il ressort en effet que pour les producteurs de produits biologiques, les intérêts économiques de cette interdiction sont évidents. Elle profiterait en effet d’un effondrement des importations étrangères, laissant la voie libre à son propre développement.
Souvent considérée par le grand public comme une initiative minoritaire, principalement intéressée par la production de produits de qualité, marginale sur le marché, la situation pour l’industrie « bio » a bien changé. Depuis plusieurs années, le bio a progressivement gagné des parts de marché et est désormais une puissance sur laquelle il faut compter. Aussi, au terme de la délibération de la Commission sur le glyphosate, elle pourrait se retrouver gagnante – au prix d’un potentiel désastre économique mondial, et de conséquences tragiques pour les fermiers des pays partenaires de l’UE.
Une victoire à la Pyrrhus?