L’insolente croissance ivoirienne calme la grogne sociale
La crise politique de 2010-2011 qui avait fait 3 000 morts et laissé l’économie ivoirienne exsangue semble être loin tant le pays accumule les succès depuis plusieurs années. La croissance sera de l’ordre de 7 % en 2017 : une nouvelle richesse qui ne profite pas encore à tous les citoyens. Même si les signes d’une grogne sociale se multiplient depuis plusieurs semaines, la bonne forme de l’économie devrait permettre une stabilisation de la situation.
Comme toujours, la bataille des chiffres a lieu de manière feutrée entre le gouvernement ivoirien et plusieurs institutions internationales comme la Banque mondiale et le FMI. Alors que Yamoussoukro annonce une croissance de 8,2 % pour 2017, les deux autres organismes prévoient respectivement 7 % et 6,9%. Plusieurs chiffres, mais une même tendance : l’économie ivoirienne poursuit sa trajectoire insolente après une période calamiteuse (2010-2011) marquée par une guerre civile et sanctionnée par le départ contraint du président Laurent Gbagbo.
Démocratiquement élu, Alassane Ouattara mène depuis 2010 les destinées de son pays avec réussite, car la sortie de crise a été rapide et a permis à la Côte d’Ivoire de devenir l’une des locomotives économiques les plus solides du continent. Les cinq dernières années ont vu le PIB progresser de plus de 8 % et il devrait se maintenir à un bon 6,5 % pour la période 2018-2019 selon la Banque mondiale. Le Sénégalais Bakary Traoré, économiste analyste des politiques publiques à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), estime pour sa part que la croissance continuera d’être très élevée au moins jusqu’en 2020 dans la mesure où toutes les conditions sont réunies « pour que le pays demeure à ce niveau de performances ».
Une croissance qui ne profite pas encore à tous
Pourtant, le miracle économique ivoirien ne doit pas occulter les difficultés rencontrées par l’État sur le plan social. Les Ivoiriens eux-mêmes se chargent de réguliers rappels à l’ordre depuis le début de l’année 2017, car si la croissance est bien là, ses effets ne se font pas toujours ressentir auprès des plus humbles. Le pouvoir en a plus que jamais conscience et a créé un nouveau ministère intitulé « ministère de la Solidarité, de la Cohésion sociale et de l’Indemnisation des victimes chargé » d’« apaiser les cœurs, soulager les douleurs, réduire les frustrations, les rancœurs et les ressentiments » selon Mariatou Koné, la nouvelle ministre. Des propos très diplomates qui visent en premier lieu à répondre à l’agacement marqué d’une partie des fonctionnaires et de l’armée.
Depuis plusieurs mois, ces deux catégories professionnelles expriment régulièrement leurs revendications sociales. Les militaires ont montré à plusieurs occasions leur pouvoir de nuisance en faisant des débrayages et en organisant des manifestations au cours desquelles certains soldats n’ont pas hésité à tirer en l’air pour signifier leur mécontentement. Ils réclament de meilleures conditions salariales et le paiement de primes. Des sorties intempestives des casernes qui font peur dans une nation encore vivement marquée du sceau de la guerre civile. Les demandes des agents du service public en grève sont aussi de nature économique puisqu’ils attendent une revalorisation salariale et la fin des retards de paiement de leur rémunération. La grogne n’est pas un épiphénomène, et le gouvernement ivoirien cherche à calmer les esprits afin d’éviter un embrasement social du pays.
Une baisse des tensions en bonne voie grâce à la normalisation progressive de la vie politique ivoirienne. Les sanctions judiciaires prononcées à l’encontre des anciennes figures de l’ère Gbagbo sont peu à peu levées, et certaines de ces personnalités ont librement participé aux dernières élections législatives. Les efforts pour parvenir à une véritable cohésion nationale commencent à porter leurs fruits.
2017 est donc une année charnière pour la Côte d’Ivoire. L’État doit aujourd’hui arbitrer entre dépenses publiques pour améliorer rapidement et sensiblement les conditions de vie du plus grand nombre et veiller à ne pas creuser immodérément la dette. Un exercice d’équilibriste toutefois facilité par la forte croissance qui permet de dégager des marges de manœuvre plus importantes. Une situation financière qui rassure les investisseurs, visiblement confiants dans la capacité du gouvernement de Yamoussoukro pour redistribuer en douceur les fruits du développement économique.