A qui profite le Grand Paris ?
Bien qu’il promette des retombées économiques « colossales », le projet du Grand Paris inquiète. Alors que certains l’accusent d’être trop focalisé sur les transports, les TPE et PME locales se demandent si elles pourront vraiment en bénéficier.
La Chambre de commerce et d’industrie d’Île-de-France (CCIR) estime que le Grand Paris « aura un effet d’accélérateur progressif sur la croissance régionale : de 1,5 à 2 % par an entre 2015 et 2020, le taux de croissance atteindra 2 à 2,5 % par an jusqu’en 2030 pour dépasser la barre des 3 % par la suite ». De son côté, la région calcule que le projet pourrait représenter un apport de 140 milliards d’euros au PIB national et générer plus de 60 milliards d’euros de recettes publiques par an à l’horizon 2030. Pour la région, les travaux liés au Grand Paris Express (plus de 22 milliards d’euros consacrés à la construction de nouvelles lignes de métro et gares RER) devraient générer 15 000 à 20 000 emplois par an, et au moins 18 000 emplois seront à pourvoir dans le bâtiment.
Le Grand Paris : une « machine à commandes » et c’est tout ?
Un optimisme que l’on ne peut que vouloir partager. C’est d’ailleurs ce que les chefs d’entreprises ont décidé de faire, du moins dans un premier temps. Selon le baromètre du Grand Paris des entreprises, créé par la CCIR avec plusieurs organisations professionnelles, l’attente parmi les patrons est d’autant plus forte que les projets du Grand Paris représentent environ 108 milliards d’euros d’investissements supplémentaires à l’horizon 2030, « soit un doublement par rapport à la situation sans projet Grand Paris », ajoute la région.
Certains n’arrivent cependant plus à s’enthousiasmer. C’est notamment le cas de Michel Lussault, géographe et professeur d’études urbaines à l’ENS de Lyon, qui a coprésidé le conseil scientifique de l’opération « Un pari pour le grand Pari(s) » en 2007. Moins d’une décennie s’est écoulée depuis que dix équipes internationales d’architectes se sont vu confier la tâche de réfléchir à un « projet d’exception » pour l’avenir de la capitale française. Une période aujourd’hui « si éloignée » pour Michel Lussault qu’il est « presque difficile d’y songer ».
Selon lui, la démarche de recherche-action prônée par le conseil scientifique a été remplacée par une « démarche habituelle de projet ». Au lieu de s’attacher à « donner une intelligibilité renouvelée de la mégalopole, travaillée en profondeur par l’urbanisation mondiale », l’Atelier international du Grand Paris (AIGP) a été créé en 2010 comme « une machine à commandes et non comme un laboratoire permanent ». « On a vite compris que l’essentiel allait être de construire les nouvelles lignes de métro et de valoriser le foncier connexe au gares », ajoute Michel Lussault.
Quand des sociétés étrangères mettent la main sur le Grand Paris
Le plus grave à ses yeux est « l’abandon progressif du grand projet d’intérêt général » dont rêvait le conseil scientifique au profit de toute une série de « luttes intestines entre collectivités locales, opérateurs urbanistiques et immobiliers pour obtenir une part de gâteau ». Un avis partagé par de nombreuses personnes qui s’inquiètent de voir les intérêts économiques et politiques l’emporter sur les questions d’utilité publique. Ainsi, à ceux qui s’étonnent du fait qu’une grande partie des Franciliens resteront en dehors du Grand Paris, s’ajoutent ceux qui s’interrogent sur la place que le projet est prêt à accorder aux TPE et PME locales.
Pour Bernard Cathelain, membre du directoire de la Société du Grand Paris (SGP), « le projet du Grand Paris c’est, au-delà du réseau de transport, une grande diversité de marchés qui permettra à chacun de s’y retrouver ». En parallèle, la déclaration d’intention commune de l’Etat et de la CCIR promet « de nombreuses opportunités pour les entreprises franciliennes ». Des opportunités qui devraient bénéficier au tissu local des PME, TPE et ETI. Or, pour l’instant, ce sont des consortiums à moitié étrangers qui ont décroché le plus grand nombre d’appels d’offres.
La société française NGE, en consortium avec un le groupe Demathieu Bard et l’entreprise Franki Fondations, mais également avec l’entreprise italienne Impresa Pizzarotti et l’entreprise suisse Implenia, après avoir déjà décroché trois ouvrages annexes du prolongement de la ligne 14, vient, toujours dans le cadre du projet Grand Paris Express, de remporter un marché de 267 millions d’euros pour la construction de quatre nouvelles stations de métro de la ligne 11. Et si le groupe NGE assure s’être associé à des entreprises étrangères dans le but de profiter de leur savoir-faire en matière de travaux souterrains et de former des équipes en France, on voit mal ses partenaires étrangers se contenter de parachuter une poignée de formateurs dans l’Hexagone, puis rentrer chez eux après avoir livré tous leurs secrets, sans profiter davantage du marché. Autrement dit, voilà un projet qui a peu de chances de profiter pleinement au tissu économique local.
Censé redessiner les contours de la région Ile-de-France en proposant un véritable aggiornamento, un décloisonnement urbanistique total, le Grand Paris pourrait bien n’être finalement qu’un projet de transports amélioré, pensé selon la seule logique spéculative. A cette déception pourrait s’en ajouter une autre, économique, puisqu’il semblerait pour l’instant qu’au lieu de profiter aux petites et moyennes entreprises locales, le projet fasse surtout les affaires de multinationales françaises… voire étrangères.