Paquet neutre : la mesure passera-t-elle la censure du Conseil constitutionnel ?
La loi Santé portée par Marisol Touraine a été définitivement adoptée par l’Assemblée nationale jeudi 17 décembre. Au tour maintenant du Conseil constitutionnel d’en étudier la conformité avant son éventuelle promulgation. Parmi toutes les dispositions, le paquet neutre, l’une des mesures phare de la loi, devrait être sujet à débat. Il est déjà examiné par l’Organisation mondiale du commerce.
Un vote difficile pour la majorité
La présentation du projet de loi Santé en Conseil des ministres remonte à l’automne 2014. Depuis, Marisol Touraine, la ministre de la Santé, a eu beaucoup de mal à rassembler son camp derrière ce projet de « modernisation » du système de santé, « contre l’immobilisme et la résignation » selon ses termes. La commission des Affaires sociales du Sénat avait notamment amendé la disposition relative au paquet neutre, mesure phare du projet de loi, défendu jusqu’au bout par la ministre de la Santé. L’amendement avait d’ailleurs été déposé par un sénateur de son camp, le socialiste Richard Yung, également Président du Comité national anti-contrefaçon (CNAC). Le texte a finalement terminé ses allers-retours jeudi dernier à l’Assemblée nationale, où il a été adopté à une courte majorité.
Il aura donc convaincu de peu les députés socialistes, les radicaux de gauche et les élus Europe Écologie-Les Verts. En revanche, la plupart des élus Front de gauche, ainsi que l’UDI et les élus Les Républicains ont voté contre le texte. Le groupe Les Républicains a annoncé son intention de saisir le Conseil constitutionnel. En ligne de mire, la généralisation du tiers payant, qui fait « peser de lourdes contraintes sur les médecins qui sont de nature à entraver leur liberté d’entreprendre ». Et le paquet neutre, considéré comme une « violation du droit de propriété, principe constitutionnel garanti par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ». « Le gouvernement s’est intentionnellement exonéré de toute étude d’impact », soulignent-ils, estimant « qu’en l’absence d’étude d’impact, la mise en place du paquet neutre est dépourvue de tout lien direct avec l’impératif de protection de la santé publique ».
Le paquet neutre au centre du débat
Le paquet neutre est déjà en discussion devant l’Organisation mondiale du commerce, qui étudie notamment sa compatibilité avec la réglementation internationale du droit des marques et du droit de propriété intellectuelle. La France pourrait s’exposer à une action équivalente à celle que connaît actuellement l’Australie, premier pays à avoir instauré le paquet neutre. L’Etat océanien a en effet été attaqué par une marque de cigarettes ; un litige pour l’heure toujours en instance devant la Commission des Nations unies pour le droit international du commerce.
La décision d’instaurer le paquet neutre est une mesure unilatérale d’État (entendre : un changement de réglementation décidé par l’État), qui a potentiellement un effet expropriatoire et va à l’encontre des attentes légitimes des investisseurs étrangers. Elle pourrait par conséquent violer les traités bilatéraux d’investissement conclus par la France. Les investisseurs mécontents pourraient alors décider de traîner le pays devant un tribunal arbitral pour obtenir réparation. Des actions loin d’être anodines, et qui pourraient coûter très cher à l’État.
Quelle politique de protection de la santé publique ?
Une justification reste possible : la protection de la santé publique. Un argument qui convainc difficilement. Les preuves manquent encore quant à l’effet réellement dissuasif du paquet neutre. Et que dire de la politique globale du gouvernement ? Députés comme sénateurs ont souligné la nécessité d’une politique de prévention plutôt que de répression, couplée à une augmentation progressive des tarifs. Les élus ont également exprimé leur scepticisme face à ce qui semble bien être une politique de « cavalier seul » au sein de l’Union européenne. Une directive européenne augmente en effet à 65% de la surface du paquet de cigarettes la taille des messages sanitaires. Mais la France a décidé d’aller au-delà et de « surtransposer », au risque d’envoyer directement les consommateurs acheter leur tabac dans les pays voisins.
Difficile, par ailleurs, pour le gouvernement de prétendre défendre une politique de santé publique et de lutte contre les addictions alors que la loi Santé revient précisément sur la loi Evin, relative à la réglementation de la publicité des boissons alcoolisées. Présidente de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée, Catherine Lemorton (PS), déplore ce retour en arrière, à l’unisson de nombreux spécialistes des addictions. « La loi Evin était un équilibre » et elle est « mise à mal » s’est-elle exprimée dans l’Hémicycle.
Rassemblés, le jour du vote, devant l’Assemblée nationale à l’appel du « Mouvement pour la Santé de tous », plusieurs professionnels de santé dénonçaient le caractère « liberticide » de la loi Santé. Paquet neutre, retour sur la loi Evin, mais aussi généralisation du tiers payant, salles de shoot ou interdiction des mannequins trop maigres… La loi Santé de Marisol Touraine reprend pêle-mêle des dispositions éparses, à l’image du parti socialiste pendant la discussion du projet de loi.
Crédits photo : Julien Muguet/Maxppp