L’aluminium rattrapé par ses modes de production
L’aluminium est pour beaucoup le métal du futur. Léger, ductile, conductible, résistant à l’oxydation, isolant thermique, aisément recyclable, il présente nombre de qualités qui lui assurent un succès commercial exponentiel. Et pourtant sa production est encore largement trop polluante dans certaines parties du monde. Le groupe de travail AluWatch a en effet récemment publié des recherches sur l’impact environnemental de l’aluminium, dont la production compte pour 1 % des émissions de gaz à effet de serre. Un sacré point noir pour un secteur en plein développement économique.
Un marché en plein boum économique
Le rapport d’Aluwatch, publié le 22 Octobre dernier, fait le point sur le marché du métal léger. L’avenir semble au beau fixe pour une industrie qui connait un développement constant. L’aluminium s’impose comme un incontournable dans les industries de l’aéronautique et dans la conception des véhicules de transports routiers et garde une place de choix dans divers modes de conditionnement. Il est également en train de s’imposer comme un constituant central dans les habitations modernes du fait de ses vertus isolantes et de ses qualités de métal conducteur – c’est un substitut croissant du cuivre devenu trop onéreux dans l’industrie des câbles. La moitié de la production mondiale est en outre destinée à l’industrie.
Conséquence : son marché a aujourd’hui explosé. L’aluminium est le métal le plus utilisé après le fer. Le groupe ALCOA fait régulièrement un état des lieux et des pronostics sur la consommation d’aluminium dans le monde. Il table sur une production d’aluminium autour des 80 millions de tonnes vers 2020. Cela correspondrait à une croissance annuelle moyenne des consommations de 6,7 % entre 2011 et 2020 et à un doublement de la demande d’ici à la fin de la période. Un succès qui a amené la communauté scientifique à se pencher sur son mode de production.
Un processus en constante amélioration
L’aluminium est extrait par électrolyse, qui est par nature plutôt gourmande en énergie. Le processus a été largement amélioré au fil des années, et l’intensité énergétique (la mesure de l’efficacité énergétique) de l’aluminium, d’une moyenne de 17 000 kWh en 1980 est passée à 14 298 kWh en 2014. De l’extraction au raffinage, la production moyenne d’une tonne d’aluminium émet désormais environ 16,5 tonnes de CO2 et équivalents. Il existe un véritable savoir-faire européen dans la production propre du métal, et sur le vieux continent, 1 tonne d’aluminium primaire produit 9,5 T de CO2, et 1 tonne d’aluminium recyclé produit 0,5 T de CO2.
L’aluminium est recyclable à 100 %, indéfiniment et sans dégradation de ses propriétés. Aujourd’hui 40% des besoins de l’aluminium en Europe sont satisfaits par l’aluminium recyclé. Mieux encore, en France : 1 tonne d’aluminium recyclé produit 70 % de moins de CO2 que la moyenne mondiale. Cela signifie donc qu’il existe de véritables inégalités dans les impacts environnementaux selon les modes de production. Et c’est bien là que le bât blesse.
Environnement : les disparités du marché
Les nouveaux entrants sur ce marché (la Chine, l’Inde et les pays du Golfe, mais aussi l’Australie du fait de ses importantes ressources) font majoritairement appel à des énergies fossiles pour produire leur électricité. Cela a causé une inquiétante progression des émissions de gaz à effet de serre ces dernières années alors que le marché de l’aluminium a augmenté. Responsable de 10 % de la production mondiale au début des années 2000, la Chine en assure aujourd’hui 55 % (jusqu’à 60 % en 2015). Et il n’est pas de secret sur la façon dont elle a rattrapé le retard : sa production est basée sur du charbon (90 %) depuis 15 ans, précipitant une chute vertigineuse des prix et des dommages environnementaux conséquents. Dans l’intervalle, la production chinoise a explosé de 200 à 3 000 tonnes d’aluminium par mois. Le pays n’est pas ailleurs le seul mauvais élève.
Le Venezuela, les Emirats arabes unis et le Brésil ont aussi une législation très peu exigeante, qui permet une production très émettrice du métal léger. En comparaison, l’Amérique du Nord, utilise à hauteur de 83 % de l’électricité hydraulique pour assurer sa production d’aluminium primaire – un exemple à suivre, pour un pays qui pourtant est loin d’être exemplaire en la matière. Preuve que l’idée du développement durable fait son cheminement dans les esprits, à mesure des catastrophes naturelles qui frappent un peu partout dans le monde.
La Chine s’est lancée dans un ambitieux processus de transition énergétique, notamment via son douzième plan quinquennal (2011-2015) qui inclut, pour la première fois, explicitement la question de la lutte contre le changement climatique. Elle va ainsi investir 500 milliards de yuans (69 milliards d’euros) pour construire pas moins de 110 centrales nucléaires d’ici à 2030. Seulement le marché chinois de l’électricité ne fonctionne pas de manière optimale, ce qui n’incite pas à l’évolution du mix énergétique des acteurs du secondaire. Le pays est pourtant celui qui a le plus fort potentiel hydroélectrique au monde.
Dès lors, la prise de conscience des industriels – acteurs indépendants et largement soumis à une concurrence nationale à couteaux tirés – de la nécessité de modifier leur mix énergétique pourrait passer par une tarification du carbone. Selon le concept de pollueur/payeur, on pourrait bientôt voir apparaitre une pénalisation de la production « d’un élément qui, pour l’instant, n’a pas de prix : le carbone », indique Philippe Chalmin, professeur à l’Université Paris-Dauphine, et cosignataire du rapport Aluwatch, « cela relève cependant pour l’instant de l’utopie ».