Transition énergétique : 10 milliards qui font débat
C’est la dernière ligne droite pour la loi sur la transition énergétique, présentée fin juillet en conseil des ministres et qui doit être débattue devant le Parlement à partir du mois d’octobre. Un projet-phare du quinquennat de François Hollande qui fait débat jusque dans les rangs socialistes. Entre les 10 milliards de coûts annoncés et les 100.000 emplois promis, le cœur de la majorité balance et le projet de loi est soutenu ou combattu pour des raisons parfois paradoxales.
Entre ceux qui considèrent que la dégradation des comptes publics n’offre pas au gouvernement les marges de manœuvre nécessaires pour mener à bien la transition énergétique, et ceux qui estiment que la réforme portée par Ségolène Royal n’est pas à la hauteur des enjeux écologiques, le gouvernement a fort à faire pour convaincre sa majorité de voter son projet de loi. Une réforme qui déchaîne les passions et brouille les cartes partisanes. Qui s’oppose à la réforme au sein de la majorité ? Pourquoi ? Et qui la soutient vraiment ?
Quand les écologistes dénoncent une « réformette »
Sortis du gouvernement à l’occasion du remaniement du mois de mars, les écologistes ont retrouvé leur liberté de parole et ne sont que partiellement convaincus par une loi qui leur semble insuffisante et en retrait par rapport à plusieurs promesses de campagne du candidat Hollande.
S’il fait peu de doute que les parlementaires d’Europe Ecologie les Verts voteront in fine cette loi, ils vont sans doute tenter d’y ajouter des amendements. Ils regrettent notamment les choix stratégiques en matière nucléaire et le remplacement de la diminution à 50% de la part du nucléaire dans le mix énergétique français par un plafonnement de la puissance installée à 63,2 gigawatts (ce qui correspond à la puissance installée actuelle).
Toutefois, comme l’a déclaré la députée européenne EELV Michèle Rivasi, « le pré-projet de loi contient néanmoins de belles propositions que les écologistes pourront aisément soutenir, notamment en matière de logement et de rénovation énergétique ».
Ségolène Royal doit donc s’attendre à une opposition constructive mais sans doute volontariste de la part de ses alliés écologistes.
La réindustrialisation d’Arnaud Montebourg, handicapée par la loi ?
Un autre pan de la majorité fait la grimace à l’approche du vote de la loi. Les amis d’Arnaud Montebourg, et au-delà les tenants de l’aile pro-industrielle du parti socialiste, s’inquiètent de l’impact de la transition énergétique sur la compétitivité industrielle de la France.
Le coût de l’électricité en France étant actuellement l’un des plus bas d’Europe, l’outil industriel hexagonal bénéficie d’un avantage compétitif qu’il risque de perdre si les consommateurs doivent payer tout ou partie de la facture de la transition. Et comme la compétitivité industrielle de la France est par ailleurs assez fragile, certains députés socialistes craignent de se tirer une balle dans le pied en votant un texte qui pénaliserait in fine les entreprises françaises.
On a également vu le ministre de l’Economie lui-même se placer ces derniers mois en première ligne sur un sujet hautement symbolique, celui du gaz de schiste. En s’opposant au moratoire sur la recherche pourtant voté par un gouvernement de droite, Arnaud Montebourg avait envoyé un message très clair aux partisans d’une transition énergétique plus ambitieuse : la productivité de l’économie française passe avant les considérations écologiques, y compris en matière d’énergies fossiles.
A droite, une opposition très discrète
Si la promesse de réduction de la part du nucléaire avait été un enjeu de campagne pour Nicolas Sarkozy, force est de constater que l’opposition ne s’est pas montrée particulièrement virulente depuis 2012 pour combattre le projet de loi de transition énergétique du gouvernement.
Il faut dire qu’à droite non plus le sujet ne fait pas l’unanimité et qu’un certain nombre de députés UMP ne sont pas hostiles par principe aux objectifs et propositions de la loi. La droite parlementaire devrait pourtant s’opposer solidairement au projet gouvernemental… sans en faire un casus belli comme cela avait sans doute un temps été redouté du côté de l’Elysée.
L’UMP s’est pour l’heure contentée de présenter un contre-projet de loi axé sur deux piliers, le zéro charbon et la sanctuarisation du nucléaire. Le tout avec en tête les mêmes objectifs que le gouvernement, à savoir la baisse de 40% des émissions de CO² par rapport à 1990.
Ce sera donc à la marge que l’opposition va combattre le texte présenté par Ségolène Royal, notamment sur la question nucléaire et même si la position du gouvernement semble avoir évolué sur ce point depuis l’élection de François Hollande.
Entreprises : ce qui va changer
Le gouvernement a chiffré à 100.000 le nombre d’emplois créés grâce à la loi sur la transition énergétique. Deux secteurs semblent particulièrement concernés par cette loi : la mobilité électrique et surtout la rénovation thermique des bâtiments. En terme de mobilité électrique, la ministre de l’Ecologie prévoit la création de 7 millions de bornes à travers le territoire pour les véhicules électriques. Le projet de rénovation thermique est encore plus ambitieux puisque l’objectif de la loi est la rénovation de 20 millions de bâtiments grâce à des avantages fiscaux.
Une manne pour les professionnels du secteur qui parviendront à se positionner sur le créneau de la rénovation thermique pour les professionnels labellisés RGE (Reconnu garant de l’environnement). A l’heure actuelle, et selon l’Ademe, environ 18 000 entreprises sont détentrices du label RGE, qui est délivré par l’un des cinq organismes de certification habilités (Cequami, Qualibat, Certibat, Qualiy’ENR et Qualifelec).
Inquiétudes en revanche du côté des industriels électro-intensifs qui redoutent de voir le prix de l’électricité flamber. A moins que le gouvernement ne prévoit de renforcer le dispositif de soutien à la filière qui est en place depuis 2009. Quoi qu’il en soit, une accentuation de la hausse des tarifs de l’électricité semble inéluctable.
Soutien de poids pour le gouvernement, la loi sur la transition énergétique ne semble pas inquiéter outre mesure du côté d’EDF. Si l’électricien public est fortement dépendant de sa production nucléaire, son PDG Henri Proglio, juge la loi « équilibrée« , permettant à la fois de maintenir la production nucléaire (la baisse de la part du nucléaire d’ici 2020 devrait être mécanique en raison de la montée en puissance des énergies renouvelables, de la croissance démographique et des nouveaux usages électrique) et d’investir dans des projets industriels alternatifs, notamment l’éolien en mer, les smart grids ou les projets de recherche hydroliens.
« Le projet de loi sur la transition est équilibré puisqu’il n’oppose pas les énergies mais souligne leur complémentarité, a indiqué Henri Proglio dans un communiqué. Notre ambition est de faire de la transition énergétique un outil au service de l’emploi, de la compétitivité et de l’indépendance nationale ».
C’est justement ce compromis entre enjeux environnementaux et climatiques, et compétitivité industrielle que souhaite proposer le gouvernement afin de bâtir un large consensus au sein de sa majorité. La teneur des débats parlementaires des semaines à venir nous dira si ce pari est réussi pour François Hollande qui souhaite que la loi soit votée d’ici la fin de l’année.