La Chinafrique doit-elle inquiéter les africains ?
En 2013, les échanges commerciaux sino-africains ont pour la première fois dépassé les 200 milliards de dollars alors qu’ils étaient de seulement 20 milliards au début du siècle. Ce chiffre conforte la Chine en tant que premier partenaire commercial de l’Afrique, une position qu’elle tient depuis 2009 au détriment des Etats-Unis et de l’Europe. De même que l’on parlait de la « Françafrique », le terme de « Chinafrique » commence à émerger. Cependant, à l’instar de l’homme d’affaires français Jean-Yves Ollivier ou du gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, Lamido Samusi, certains appellent les africains à se méfier de l’appétit de l’ogre chinois.
La présence chinoise croissante en Afrique provoque polémiques et interrogations en Occident, mais pas seulement. Familier du continent, l’homme d’affaires français Jean-Yves Ollivier l’est également de la Chine. Pour lui, Pékin se comporte en Afrique comme une puissance coloniale avec l’assentiment de ses hôtes: « Malheureusement, l’Afrique se livre à la Chine pieds et poings liés. La dépendance du continent s’accroît de jour en jour alors que presque un million de chinois ont émigré en Chine ces dernières années. Aujourd’hui, l’on trouve des chinois jusque dans les coins les plus reculés d’Afrique où ils ont investi le « petit commerce », faisant concurrence aux Africains. Cette « colonisation » ne manquera pas d’engendrer de fortes tensions dans le futur » affirme-t-il dans son livre « Ni vu, ni connu ».
Le terme de « colonisation » est fortement réfuté par Pékin. Pourtant, il semble parfaitement adapté aux réalités des relations sino-africaines, comme l’explique le gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, Lamido Samusi. « La Chine prend nos ressources naturelles et nous vend des biens manufacturés. C’était également l’essence du colonialisme. Les Britanniques sont allés en Afrique et en Inde pour s’assurer des matières premières et des marchés. L’Afrique s’ouvre maintenant de son plein gré à une nouvelle forme d’impérialisme », a-t-il écrit dans le Financial Times. Lamido Samusi appelle les africains à « se réveiller sur les réalités de leur romance avec la Chine ».
L’inquiétude semble donc de mise, y compris parmi les chefs d’Etat. Ainsi, Jacob Zuma, le président de l’Afrique du Sud, estime que la structure du commerce bilatéral « n’est pas viable sur le long terme », comme il l’a dit lors du Forum Chine-Afrique tenu à Pékin en juillet 2012. Il est vrai que la Chine achète des matières premières à l’Afrique et lui vend des produits manufacturés, ce qui empêche l’émergence d’une industrie africaine. De plus, Pékin en profite pour exporter sa main d’oeuvre excédentaire et ne fait pas appel aux travailleurs locaux.
La Chine est nécessaire à l’Afrique pour permettre le développement de ses infrastructures. Car si Pékin prend ainsi sur le continent, c’est avant tout parce que les pays occidentaux le délaissent. « La croissance rapide du commerce sino-africain a commencé dans les années 1990, alors que les pays européens négligeaient l’Afrique, les uns après les autres, et que beaucoup de pays africains se trouvaient dans une impasse pour leur commerce extérieur et même pour leurs finances. Depuis vingt ans, la raison pour laquelle le commerce sino-africain a progressé rapidement et a suscité l’envie de l’Occident est que la Chine ne s’ingère pas dans les affaires intérieures africaines et qu’elle est prête à payer à l’Afrique un prix plus élevé que les pays occidentaux » explique le magazine chinois Outlook.
Pékin met aussi l’accent sur les infrastructures, alors que les Occidentaux, non seulement conditionnaient leurs aides et crédits, mais laissaient aux acteurs privés ce genre de projets. Jean-Yves Ollivier confirme: « La France pourrait très bien éviter cette montée en puissance de la Chine mais nous sommes devenus incapables de financer la construction de ports, routes et barrages à des prix compétitifs. » affirme-t-il.
Pour contrer la montée en puissance de Pékin, la France et l’Europe doivent donc trouver une nouvelle politique de partenariat respectueuse, transparente, au service du développement et de la démocratie.
La France a d’ailleurs un grand rôle à jouer grâce à la francophonie, comme l’explique Philippe Hugon, directeur de recherche à l’IRIS: « Paris garde des liens privilégiés au travers de la francophonie et bénéficie de connaissances colossales sur les pays du continent. Dans de nombreux pays francophones, on s’interroge parfois plus ce qui se passe en France que sur place. Tout cela découle d’une histoire compliquée et perdure, malgré certains complexes. Les groupes français sont également conscients de l’émergence de classes moyennes en Afrique qui vont représenter des marchés importants. Toutes ces opportunités devraient leur profiter, notamment avec leur connaissance de ces clientèles. » Suffisant pour contrer Pékin?