Faut-il s’inquiéter de la poussée chinoise dans l’audiovisuel africain ?
Deux semaines après la tenue du quatrième sommet UE-Afrique, beaucoup de responsables politiques du Vieux Continent considèrent qu’une « Europe divisée ne peut rivaliser avec la Chine en Afrique ». Une vérité notamment palpable dans le secteur audiovisuel où, comme l’assure le think-tank américain RAND Corporation « la Chine s’est employée à développer son soft power ». L’Europe et la France ont pourtant des atouts à faire valoir dans cette bataille culturelle.
La Chine, un nouvel empire capitaliste
Au XXIème siècle, il n’est désormais plus possible d’ignorer l’importance géopolitique du géant asiatique. Comme le précise l’Institut Confucius de l’Université Paris-Diderot, « le capitalisme chinois, toujours très lié à l’Etat a créé d’importants opérateurs économiques en quête de marché à l’étranger, dans les secteurs de l’énergie (Sinopec, Cnooc, CNPC), du BTP (Synohydro, CRCC), ou des télécommunications ».
L’un des exemples les plus représentatifs de ce nouvel impérialisme économique concerne le secteur audiovisuel et le groupe satellitaire Star Times dont la mission est d’exporter le soft power chinois aux quatre coins du globe à travers le vecteur le plus puissant qui soit : la télévision.
Désormais, comme le décrypte très justement l’ex-gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, Lamido Sanusi, « la Chine n’est plus un camarade dont l’économie est sous développée, elle est le deuxième acteur économique mondial, capable des mêmes formes d’exploitation que l’Occident ». Avec une différence de taille : l’option systématiquement retenue de proposer des offres low-cost duplicables dans tous les pays.
Audiovisuel : développer le Made in Africa
Lors de la 6ème session de l’Assemblée générale de l’Union africaine de radiodiffusion (Uar) qui s’est déroulée à Dakar en mars dernier, le président Tewfik Khelladi rappelait que « l’Afrique a toujours du mal à se faire entendre et se trouve toujours marginalisée dans les flux mondiaux de contenus télévisuels dans lesquels sa perspective n’est pas reflétée et son image complètement déformée ».
Cette situation, Paul-Miki Roamba, chef du service des programmes de la télévision privée burkinabé BF1, ne la connait que trop bien. Selon lui, elle persiste car les coûts de production sont encore trop élevés : « les séries africaines sont plus coûteuses que celles importées ». Déjà amorties sur leur marché national, les productions étrangères peuvent en revanche brader leurs droits pour les diffuseurs africains. En guise de réponse, il considère qu’il « faut notamment que les sponsors et l’Etat acceptent d’accompagner les réalisateurs ».
Une obligation renforcée par la percée chinoise dans l’audiovisuel africain. Plutôt que de soutenir les productions locales et la diversité culturelle, Star Times mise depuis son lancement sur la diffusion de soap-opéras asiatiques ou sud-américains. Le groupe chinois lance par ailleurs une offensive tous azimuts sur la TNT en Afrique afin d’alimenter à moindre coût son robinet à image mais sans aucune contrepartie pour les acteurs audiovisuels africains, que ce soient en termes de financements ou de contenus. Le public africain qui commence à se lasser de ces productions standardisées – qui menacent nombre de séries africaines pourtant très populaires – va-t-il organiser la résistance ?
De ces expériences, un enseignement apparait clairement : devoir orienter le marché. En effet, l’Institut National d’Audiovisuel (INA, France ) note que « le goût supposément immodéré des spectateurs pour les productions étrangères a finalement atteint ses limites. Et après avoir ratissés large, un peu comme s’ils sondaient une audience mal connue, les producteurs et diffuseurs doivent aujourd’hui élaborer une offre adaptée ».
La France, partenaire de route du nouveau monde
De plus en plus, la qualité et l’originalité des programmes deviennent une question centrale comme le précise, N’dèye Sèye, étudiante sénégalaise en communication : « Des images floues, des films dont les scènes sont si mal coupées et montées que l’on ne comprend rien à l’histoire… ça finit par rebuter. »
Un regain d’intérêt pour les productions locales et l’émergence d’un véritable savoir-faire audiovisuel africain ? Une aubaine pour les opérateurs européens (et notamment français) qui misent depuis des années sur des bouquets mettant en avant la diversité culturelle du continent et les productions locales.
L’Organisation internationale de francophonie (OIF) a d’ailleurs bien conscience de ces enjeux et de l’opportunité que cela représente. C’est pourquoi, elle fut dès 1988 à l’origine du Fonds francophone de production audiovisuelle du Sud. Dans sa présentation, l’institution met justement en avant comme objectifs, son « pari sur les œuvres de qualité » et l’élargissement de la diffusion, pour mieux rentabiliser les productions locales.
Ces préoccupations sont également partagées par l’Agence française de coopération médias (CFI) qui collabore avec des groupes comme TV5 Monde, France 24 et Canal + afin de promouvoir « la voie d’une autonomie renforcée et d’une compétitivité amélioré » de l’audiovisuel africain. Ces trois médias audiovisuels diffusent sur le continent des programme internationaux, mais contribuent aussi à la promotion des productions africaines. C’est notamment le cas de Canal + Afrique qui propose des émissions « 100% africaine » et qui apporte son soutien à des cinéastes et documentaristes africains. Un exemple à suivre sans doute.