Élections présidentielles : pour qui sont les entrepreneurs algériens ?
Jusqu’à maintenant, le président Bouteflika comptait sur les revenus des hydrocarbures pour maintenir son économie à flot. Mais la corde qui permet ce jeu d’équilibriste est vouée à se rompre. Elle montre d’ailleurs ses premiers signes d’usure. Ali Benflis, candidat aux élections présidentielles de 2014, est le seul à proposer un modèle économique qui pourrait redonner à l’Algérie les chances d’une croissance durable. Les entrepreneurs du pays l’ont bien compris. En témoigne leur peu d’empressement au moment de soutenir le président sortant.
Le mauvais calcul de Bouteflika
Faire la comptabilité d’un pays, ce n’est pas bien sorcier. Révisons nos fondamentaux en quelques lignes. Mettez une tirelire sonnante et trébuchante à la disposition d’un enfant, il en comprendra bien vite le principe qui est le suivant : ne pas utiliser ce dont on ne dispose pas. À défaut, c’est l’endettement assuré. Pour les comptes nationaux, même topo, avec quelques paramètres supplémentaires. Le jeu consiste à équilibrer les emplois des richesses nationales (la consommation, les investissements et les exportations) et les ressources (produites ou importées). Seulement à l’échelle d’une nation, c’est la qualité de vie de millions d’hommes et de femmes qui dépend du contenu de la tirelire.
À 77 ans passés, il semblerait qu’Abdelaziz Bouteflika ait quelque peu négligé ces règles élémentaires. Décrépitude — le président est hémiplégique. La faute à un méchant AVC survenu au printemps 2013 — ou inertie de l’habitude, Bouteflika estime que la source de revenus qui lui permettait de renflouer la cagnotte il y a 14 ans ne se tarira jamais.
Nous parlons bien évidemment des hydrocarbures, actuellement à l’origine de 97 % des revenus du pays. Mais les richesses naturelles algériennes n’ont rien d’inépuisable et montrent même les premiers signes de déclin. La courbe de production pétrogazière a entamé sa phase descendante sur les graphiques des rapports officiels. 85 milliards de m3 en 2012, prédisait-on. Et bien non, ce ne sera pas plus de 45 milliards en 2013. Le montant des recettes suit naturellement. De 70 milliards de dollars en 2012, les recettes issues des hydrocarbures sont passées à 63 milliards en 2013.
Pour autant, il n’a pas été question de rogner sur les dépenses publiques. 100 milliards de dollars sont prévus dans la loi de finances 2014 pour les premières. Abdelaziz Bouteflika consacrait déjà un tiers du PIB aux transferts sociaux et compte encore créer de nouveaux postes dans la Fonction publique. Sans remettre à aucun moment en cause les prix de l’électricité et des carburants, subventionnés à hauteur de 11 milliards de dollars. Quant aux dépenses liées aux importations, elles sont toujours aussi vertigineuses : 65 milliards de dollars, ni plus, ni moins.
Aveuglément arithmétique ou démagogie, quoi qu’il en soit, le pays a joué ses atouts. Il lui faut maintenant repenser sa stratégie économique.
Un soutien entrepreneurial bien tiède
Elle passera nécessairement par la diversification de ses activités, afin de s’affranchir de la rentre pétrogazière. Pour ce faire, plus que jamais, le pays doit favoriser les initiatives de ses entrepreneurs. Cela n’a jamais été dans les intentions de Bouteflika et son programme électoral ne présage pas de changement majeur. Les effets d’annonce du président sortant sont même décevants. Le plan 2015-2019, en cours d’élaboration, prévoit entre autres de « pérenniser les acquis des plans précédents en assurant la maîtrise de la maintenance et de la gestion des infrastructures déjà réceptionnées ».
« Pérenniser les acquis », voilà une formulation qui a tout pour déplaire aux jeunes entrepreneurs algériens, eux qui ont lancé en février 2014, par le biais du think tank Nabni, un manifeste appelant justement à « refonder l’action de l’État ».
Ces jeunes entrepreneurs crient haut et fort ce que les grands patrons pensent tout bas. Notamment que l’État doit être « détaché de la rente », « ouvert au changement », « transparent dans ses actions » et « stratège dans ses ambitions ». Officiellement, Le Forum des chefs d’entreprise (FCE), la principale organisation patronale du pays, s’est prononcé en faveur du quatrième mandat de Bouteflika à l’occasion de son assemblée générale extraordinaire du 13 mars. Ce fut un vote tiède à bien des égards. Primo, ce soutien n’a pas été aussi empressé que lors des précédentes élections. Secundo, ils n’étaient que 132 dirigeants à s’être déplacés pour exprimer leurs choix, sur les 350 membres que compte le FCE.
Slim Othmani, le patron de NCA Rouiba, fait partie des absents. Il a osé rompre la loi du silence en faisant connaître publiquement les motifs de son refus : le FCE est une organisation non partisane, elle n’a pas à soutenir de candidats. Déclaration qu’il a fait suivre d’une lettre de démission adressée au président de l’organisation dans laquelle il qualifiait ce vote de « mascarade de soutien électoral ».
Tous ne peuvent pas se risquer aux mêmes actes de bravoure. Par le passé, certains partisans déclarés d’Ali Benflis, déjà candidat en 2004 et aujourd’hui le plus crédible sur le plan économique, se sont retrouvés en mauvaise posture.
Mais tous ne sont pas atteints de cette terrible maladie que l’on nomme fatalisme. Les partisans de Benflis seraient en train de rassembler incognito des fonds pour leur candidat, c’est du moins ce que l’on peut lire dans un article paru dans Jeune Afrique. Alors Alea jacta est ? Rien n’est moins sûr.
Ali Benflis : son programme fait bouger les lignes
La vision économique d’Ali Benflis porte avec elle l’espoir d’un renouveau. Le candidat a arpenté les coulisses du pouvoir en tant que Secrétaire général, Chef de cabinet de la présidence de la République puis Premier ministre sous Bouteflika d’août 2000 à mai 2003. Il s’est finalement retiré, notamment parce que la justice n’était pas aussi aveugle qu’il l’aurait souhaité. Battu aux élections de 2004, il a passé 10 années loin des affres politiciennes. Le temps de prendre un peu de distance.
Son programme économique électoral s’en ressent nettement. Il n’est guère question de compromis avec le passé. Ce que le candidat propose, c’est un tout nouveau modèle, qui semble répondre point par point aux requêtes énoncées par le manifeste de Nabni : Ali Benflis veut en effet établir un État « stratège, régulateur, ouvert et pragmatique » en mesure de favoriser une économie véritablement diversifiée. Il s’agit de soutenir les initiatives entrepreneuriales, de réindustrialiser le tissu économique et de moderniser les institutions, dont l’ingérence et la bureaucratie excessive plombent le dynamisme des entreprises.
L’inscription dans la loi de finances 2015 d’une « disposition portant révision du plafond de participation des actionnaires étrangers dans certains secteurs où cette règle (49/51) n’a aucune justification économique » est la plus éclatante illustration de cette refonte économique et financière. En laissant les entreprises étrangères investir des fonds et transférer leur savoir-faire dans les différentes industries du pays (manufacture, la transformation agroalimentaire, tourisme, hôtellerie, chimie, services informatiques, etc.), l’Etat lui redonnerait de véritables chances d’affranchir une bonne fois pour toutes le pays des hydrocarbures.
« Le prochain mandat présidentiel doit s’inscrire dans le cadre d’un grand dessein national et offrir l’opportunité historique d’œuvrer à réunir les conditions favorables à un consensus national. (…) Ce mandat-transition constituera la première étape sérieuse d’un saut qualitatif vers un renouveau algérien. », a déclaré Liamine Zeroual, l’ancien président, dans une lettre adressée aux Algériens avant le vote qui aura lieu le 17 avril 2014. Cette formule s’inscrit en contradiction avec les acquis chers à Abdelaziz Bouteflika et fait écho au projet de renouveau national porté par Ali Benflis.
Voilà une déclaration supplémentaire propre à enrayer la machine électorale. Il est probable que cette année les élections ne ressembleront pas aux précédentes.
Crédits photo : Magharebia