Chirurgie esthétique : éthique et tact au rendez-vous
Excepté auprès de ceux qui y ont eu recours, la chirurgie esthétique a mauvaise réputation. La série Nip/Tuck, qui a largement contribué à populariser la spécialisation dans nos contrées, n’y est pas pour rien. Virtuoses du bistouri, les deux compères dont elle narre les péripéties n’en sont pas moins bouffis de cynisme, prêts à tous les mauvais coups pour gonfler leur patientèle. Pourtant, si dans la réalité des abus ont lieu, ils sont marginaux et ne reflètent pas les pratiques d’un métier où la déontologie est la valeur suprême.
Un siècle de chirurgie esthétique
La pratique de la chirurgie à des fins cosmétiques est encore récente. Elle fait ses débuts lors de la Première Guerre mondiale, pour apporter une solution réparatrice aux « gueules cassées », soldats dont la figure a été dévastée par des éclats d’obus. Embryonnaire, elle confine alors souvent au bricolage, mais n’en réalise pas moins des petits miracles sur ces visages ravagés par la guerre.
Suffisamment pour encourager un certain nombre de médecins américains, une fois la grande boucherie finie, à se lancer dans la chirurgie esthétique à plein temps, poussés dans cette voie par la naissance du star system et celle, concomitante, de l’ère des apparences.
Un siècle plus tard, plus de 500 000 opérations de chirurgie esthétique ont lieu chaque année en France, réalisées par un millier de praticiens. Les Etats-Unis culminent quant à eux à 3,3 millions d’interventions par an, talonnés par le Brésil et ses 2,5 millions d’opérations. Bref, la chirurgie esthétique est devenue une discipline médicale à part entière, et représente un business juteux.
Le marché mondial de l’esthétique médicale est estimé à 5 milliards d’euros en 2013, affichant une progression de l’ordre de 10 % par rapport à l’année précédente, progression qui ne devrait pas ralentir avant 2017. Une croissance limitée à 6,6 % en Europe, crise oblige, mais très forte en Asie, où elle atteint 14 % par an. Aux quatre coins du monde, chirurgiens esthétiques et dermatologues profitent de la toquade récente des plus de 50 ans pour les traitements anti-âge. Entre 2005 et 2011, sur le territoire américain, la proportion de cinquantenaires et plus ayant bénéficié de ce type de traitements est passée de 28 à 36 %.
Patients/chirurgiens, une relation privilégiée – le témoignage de Jacques Ohana
Si le secteur pâtit d’une mauvaise image auprès d’un segment du public, c’est sans doute moins à cause de la faible proportion de praticiens véreux que des exemples célèbres de personnalités (ou de wannabe) ayant eu recours à la chirurgie esthétique de façon déviante, avec les résultats qu’on connait. Ainsi, en ce moment, un certain Justin Jedlica défraie la chronique pour son nombre de passage quelque peu abusif sur le billard. Cet Américain de 33 ans a déjà 145 opérations au compteur et, dans sa quête pour « ressembler à Ken » (sic), ne compte pas en rester là.
L’exemple de feu Michael Jackson est lui aussi parlant. Il montre avec force la stérilité du recours systématique à la chirurgie esthétique chez des sujets atteints de trouble de la personnalité qui, à trop vouloir se « trouver » par ce biais, finissent par se perdre à eux-mêmes, devenir des ombres de ce qu’ils étaient auparavant.
Chirurgien français reconnu, Jacques Ohana (clinique Montaigne) témoigne de son expérience dans ce sens : « En tant que chirurgien, je me trouve face à aux citoyens singuliers d’une société qui exige toujours de chacun une remise en question permanente dans tous les domaines, intellectuel, spirituel, social, professionnel, affectif et physique. L’estime de soi, l’exigence de l’apparence, la tyrannie du paraître, la dictature de la beauté et ce, malgré les incertitudes du corps, sont des injonctions fortes. Pour essayer de faire disparaître ces contraintes nées d’une exaltation, voire d’une sanctuarisation du corps, il existe les sociologues, les ethnologues, les philosophes, les scientifiques, les artistes, les psychologues, les psychiatres et enfin… les chirurgiens plasticiens. » Avec toutes les responsabilités que cela implique.
S’il semble important d’accéder aux requêtes des patients dont le mal-être est identifié et dont il est avéré qu’il pourrait être gommé grâce à une opération, Jacques Ohana et ses confrères peuvent l’attester, il est aussi du ressort des chirurgiens plasticiens de refuser d’opérer des gens psychologiquement fragiles, chez qui des opérations à répétition n’apporteraient qu’un réconfort illusoire.
Aussi, l’établissement d’un bon diagnostique est essentiel. C’est sur ce point, sur la patience et la qualité d’écoute du personnel médical, que se joue la réputation d’une clinique, que se fait et se défait le prestige d’un praticien. Une vérité plus marquée que jamais depuis l’avènement d’Internet, où le public se rend dans la plupart des cas pour glaner des avis de particuliers sur le savoir-faire de tel ou tel spécialiste. Ça n’empêche pas certains praticiens peu scrupuleux de vouloir tenter leur chance, ça dissuade en tout cas le public, pour peu qu’il se renseigne en ligne, de se rendre dans leurs cabinets.
Crédits photo : U.S. Navy photo by Mass Communication Specialist 3rd Class Jake Berenguer
Mise au point pertinente et nécessaire. Nous oublions trop souvent que la chirurgie esthétique est une médecine et qu’elle soulage beaucoup de personnes.