Ukraine : la corruption, ennemie de la croissance ?
Depuis presque deux mois, les manifestations se multiplient en Ukraine et prennent une envergure inattendue par le pouvoir en place. Si au départ, le refus du Gouvernement ukrainien de signer un accord d’association avec l’Union européenne était la principale cause des manifestations, les dissidents se concentrent aujourd’hui sur la corruption qui gangrène les instances majeures du pays et affaiblit l’économie dans son ensemble.
« Une société de bandits »
En Ukraine aujourd’hui, les affaires publiques et judiciaires se règlent en privé, à coups de chéquiers et parfois de poings. « Nous devons déclarer une guerre déterminée contre la corruption », a affirmé en décembre dernier le président ukrainien Viktor Ianoukovitch. Si selon de nombreuses sources, ce dernier dit rarement non à un pot de vin digne de ce nom, il pointe tout de même un problème récurrent et croissant en Ukraine : la corruption. La population n’en peut plus de ce système perverti. Les affaires se multiplient et les lignes commencent à bouger.
Le pays est en crise. La population voyait en l’accord d’association proposé par l’Union européenne à la présidence ukrainienne un espoir de rebond économique et social, mais la loi du plus riche a encore frappé. Viktor Ianoukovitch a fait le choix de la Russie et ses 3 milliards de dollars de prêt. Une fortune qui ne profitera certainement pas aux habitants, tant la corruption dans le pays est généralisée. Tout le monde le sait, mais chacun se tait.
Les journalistes sont nombreux à avoir tenté de mettre en lumière les chefs de file de la corruption ukrainienne. Des enquêtes qui mènent presque irrémédiablement à un passage à tabac pour curiosité déplacée. Dernière en date, Tetiana Tchornovil, journaliste à « l’Ukraïnska Pravda » de 34 ans, s’est fait agresser alors qu’elle sortait de sa voiture dans la nuit du 24 décembre. La jeune femme est aujourd’hui méconnaissable et devra subir pas moins detrois opérations pour retrouver figure humaine.
« On en a marre de vivre dans cette société de bandits (…) Mon mari travaillait au parquet. On l’a forcé à démissionner puis on lui a expliqué qu’il devait verser un bakchich s’il voulait retrouver son poste », s’indigne dans les médias français Larissa Chirokova, 50 ans, vendeuse de cosmétiques. Garder son emploi, faire des études, créer son entreprise, être en sécurité… Chaque aspect de la vie quotidienne des Ukrainiens est rythmé par des demandes de versements d’argent illégales, et ce depuis des dizaines d’années. Toute ouverture de petite entreprise, projet de lancement de magasins ou volonté de se mettre à son compte sont bloqués par un système perverti qui étouffe l’économie ukrainienne.
L’affaire AIS, symbole de la corruption ukrainienne
Les petites affaires ne sont pas les seules à souffrir de la gangrène du système ukrainien. Les grands groupes et, ce qui est encore plus nuisible au pays, des groupes étrangers n’échappent pas à la règle. Des affaires comme celle d’UkrSibbank, qui oppose cette filiale ukrainienne de la banque française BNP Paribas au Groupe ukrainien AIS, sont l’exemple même du frein que peut représenter la corruption pour l’économie du pays et les finances de ses habitants, notamment en décourageant les investissements étrangers pourtant indispensables au développement du pays.
En 2007, le Groupe ukrainien AIS, présidé par deux membres du Parlement ukrainien, Vasyl Polyakov et Dmytro Svyatash, contracte un prêt de 110 millions de dollars auprès de la filiale nationale de la BNP Paribas, UkrSibbank. Depuis, chaque remboursement a été sciemment évité par AIS, prêt à tout pour garder son argent. Faillite artificielle des différentes entreprises censées rembourser le prêt, création de sociétés fictives et offshores pour dissimuler leurs actifs, falsification de documents… Vasyl Polyakov et Dmytro Svyatash violent la loi ukrainienne à répétition. L’affaire finit au tribunal où les premières instances donnent raison à UkrSibbank.
S’attaquer à deux députés du Parti des Régions, parti politique de Viktor Ianoukovitch, n’est cependant pas si facile en Ukraine. Les deux compères ont fait jouer leurs relations et ont réussi à invalider les premières décisions du tribunal. En Cour d’appel, le tribunal n’a même pas pris la peine de consulter les employés de la banque ni de faire comparaitre Vasyl Polyakov et Dmytro Svyatash. Quelle importance d’entendre leur défense quand leur argent et leurs relations ont déjà fait tout le travail ? Devant tant de mépris des droits des entrepreneurs étrangers, ces derniers fuient désormais l’Ukraine. Les autorités du pays en agissant ainsi disent au revoir à la manne financière considérable que représentent les investissements étrangers.
La corruption est « un des défis essentiels » lancés à l’encontre de l’économie ukrainienne déclarait Viktor Ianoukovitch à la dernière réunion du Conseil des Régions. Reste à savoir s’il sera prêt à voir ses poches se vider pour le bien-être économique de son pays. L’affaire UkrSibbank n’est pas encore terminée et les plus optimistes espèrent encore.