Eric Freymond : des taux d’intérêt négatifs renforceraient l’attrait des investissements pour les actifs à risque
Après la crise des subprimes, la crise grecque ou encore la crise espagnole, la déflation pourrait être le prochain mal européen. A environ 1 %, le taux d’inflation de la zone euro a atteint un niveau inquiétant et la Banque centrale européenne prépare une batterie de mesures en cas d’une nouvelle baisse des prix à la consommation. Au premier rang desquelles l’option peu orthodoxe des taux d’intérêts négatifs.
Francfort en ordre de bataille contre la déflation
Le 20 novembre, la rumeur, véhiculée par Bloomberg, selon laquelle la Banque centrale européenne (BCE) s’apprêterait à mettre en place un taux négatif sur les dépôts, a fait l’effet d’une bombe sur les marchés. L’euro a immédiatement chuté de 1 %, passant sous le seuil de 1,35 dollar. En effet, une telle manœuvre a confirmé le phénomène de baisse de l’inflation que connaît actuellement la zone euro. En la matière, l’objectif de la BCE est une progression des prix « en dessous, mais proche de 2 % ». Or depuis un an, les prix n’ont augmenté que de 0,9 % (1 % si l’on exclut l’énergie et l’alimentation).
Si Mario Draghi, gouverneur de la BCE, a pour le moment écarté cette éventualité, s’appuyant sur des prévisions plutôt positives pour 2014, l’inquiétude est néanmoins de mise à Francfort. D’où un langage agressif de la part de l’institution européenne d’ordinaire pour le moins feutrée. « Nous n’avons pas encore atteint les limites basses de la politique monétaire », indique ainsi Mario Draghi. Faire passer en territoire négatif le taux de dépôt « fait partie de notre artillerie. Nous sommes techniquement prêts ».
La déflation aggraverait les effets de la crise
Selon Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et la prospective, poste rattaché au Premier ministre, l’Union européenne a raison de craindre la déflation. « L’économie fonctionnant en sous-régime et le taux de chômage étant supérieur à 12 %, on ne peut exclure une aggravation de la crise, notamment en raison de la pression à la baisse sur les prix liée à un taux de change qui s’apprécie peu à peu, à un contexte général de mauvaises surprises des taux de croissance et au repli du cours des matières premières », synthétise-t-il dans la Tribune.
Une telle situation aurait des conséquences économiques majeures et plongerait le continent dans un marasme prolongé. En effet, la déflation rend le rééquilibrage de l’économie plus difficile et renforce considérablement le poids de la dette sur les Etats. « La déflation conduisant à une diminution des revenus, le poids de la dette par rapport aux revenus s’alourdit et peut devenir ingérable pour les emprunteurs – ce qui augmente le risque d’une crise de la dette, qu’elle doit souveraine ou privée », poursuit Jean Pisani-Ferry.
Eric Freymond : des taux négatifs pour inciter à la prise de risque
Par le passé, rares sont les pays à avoir osé mettre en place la technique des taux d’intérêt négatifs. Le cas le plus illustre est certainement celui du Japon des années 1990 et 2000, faisant face à une crise de déflation durable. Le Danemark, en pleine crise de la dette en 2012, avait également fait ce choix afin de décourager les investisseurs de se tourner vers sa monnaie. Et enfin la Suède, en 2009, avait également recouru aux taux d’intérêt négatifs pour inciter les banques à prêter aux entreprises plutôt que de faire dormir l’argent.
Dans l’éventualité où la BCE en arriverait à cette extrémité, son but serait comparable à celui de la Suède. L’Union européenne chercherait à relancer l’investissement. Les banques pourraient en effet emprunter à un faible coût et ainsi prêter à son tour l’argent aux entreprises. Eric Freymond, directeur et fondateur de Semper Gestion, cabinet genevois de gestion de fortune, confirme cette analyse. Selon lui, un taux négatif aurait pour effet de conduire les investisseurs à se diriger vers les actifs à risque, comme l’euro ou les dettes souveraines des Etats membres en difficulté.
Effet d’annonce, rumeur ou réel plan, Mario Draghi et la Banque centrale européenne maintiennent le flou quant à une possible utilisation de taux de dépôt négatifs. Une pratique risquée pour définitivement relancer l’économie européenne ? Ou aveu d’impuissance face au marasme et la désinflation ?